[Couture] Épisode 2 de La Saga du Wax : Les secrets de fabrication

Comme nous l’avons vu dans le premier épisode de cette Saga consacrée au wax, bien qu’il soit appelé tissu africain, le wax vient de l’Île de Java et a ensuite conquis le cœur de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Le génie des industriels et des commerçants a participé au succès de ce tissu qui a évidemment évolué à la fois dans sa technique de fabrication et dans ses motifs pour séduire les Africains. Avant tout, il est essentiel de connaître les différentes étapes du procédé de fabrication pour le comprendre.

Les étapes de la fabrication du wax

Dans son livre intitulé Wax & Co. Anthologie des tissus imprimés d’Afrique, Anne Grosfilley résume le procédé de teinture du wax en six étapes fondamentales. La transformation d’une cotonnade blanchie nécessite au total une vingtaine d’opérations qui demandent plusieurs lavages et séchages. Les motifs sont, en fait, obtenus par le biais de réserve de cire qui résistent à la teinture. Anne Grosfilley prend comme exemple la fabrication du wax ABC.

Étape 1

On imprime sur les deux faces d’une toile de coton blanchie une couche de résine. Il s’agit en fait du dessin en négatif qui est gravé sur les rouleaux d’impression en cuivre. Le dessin est donc blanc, non recouvert de résine.

Étape 2

Le coton est ensuite trempé dans un bain de couleur. Le dessin, non protégé par la résine, est alors teint sur les deux faces. C’est ce que l’on appelle le print.

Étape 3

On lave le tissu dans un bassin, ce qui provoque des craquelures. La résine s’élimine partiellement, ce qui crée de nouvelles plages partielles où la couleur pourra s’infiltrer. On appelle cette étape le cracking.

Étape 4

On applique les couleurs à l’aide d’un tampon, appelé block, sur une seule face de l’étoffe. La couleur qui pénètre le tissu apparaît avec éclat sur l’autre côté.

Étape 5

On supprime la résine sur les deux faces. Cette étape révèle l’effet veiné obtenu par cracking dans le fond du dessin.

Étape 6

On ajoute la dernière couleur, procédé appelé solid. Cette impression est exécutée sur une zone totalement débarrassée de résine.

Anne Grosfilley décrit ainsi les principes étapes pour obtenir un wax, à l’exception du bubbling, qui consiste à préserver de petite bulles de résine lors d’un lavage distinct de celui du cracking pour créer des petites bulles blanches sur le tissu.

Deux particularités sont mises en lumière dans la description de ce procédé : Ce tissu n’a ni endroit ni envers, contrairement à la plupart des tissus, et une pièce est unique car les craquelures ne seront jamais identiques malgré la mécanisation de la fabrication. Ce procédé de fabrication crée un décalage de la couleur par rapport au contour du motif, ce qui n’est pas un défaut pour les Africains.

Les différentes sortes de wax

Il existe plusieurs sortes de wax dont les différences résident dans la façon de les fabriquer.

Le print & block

  • Le print est un wax qui a subi une seule teinture. Son prix est donc plus modeste.
  • Le block est un wax qui a reçu une couleur supplémentaire au tampon.

Le superwax

Ce wax est fabriqué en Europe par ABC ou Vlisco. C’est une étoffe de grande qualité, un produit de luxe. Toutes les femmes y ont accès au moins une fois dans leur vie puisque chaque femme reçoit en dot, à l’occasion de son mariage, une pièce de 6 ou 12 yards de superwax. Il est souvent conservé dans une cantine métallique, comme un objet précieux. Il est créé en 1973 et c’est un tissu plus raffiné et plus complexe à fabriquer. Il est plus fin donc se prête particulièrement à la couture et il est agréable à porter. Il y a trois couleurs ajoutées au block au lieu de deux. La troisième apparaît opaque et le procédé pour l’obtenir est appelé solid. Ce wax nécessite plus de résine et subit plus d’une vingtaine d’étapes entre la réception du tissu écru et la sortie de l’usine. Son prix est 30 % plus élevé que celui d’un wax block. La fabrication de ce wax par seulement deux entreprises européennes a pour conséquence le fait que le wax d’Europe est perçu comme supérieur à celui d’Asie et d’Afrique.

Super-wax de la marque Vlisco. Source : site web de la marque. Photo protégée.

Entre mécanisation et artisanat

Au fil des années (et des siècles), la technique traditionnelle et artisanale, utilisée pour fabriquer du batik, s’est largement mécanisée et automatisée pour fabriquer le wax. Mais, malgré cette automatisation, le wax garde une dimension artisanale qui renvoie toujours à ses origines.

On a recours, en effet, à une technique ancestrale de motifs en réserve appliqués à la cire ou à la résine et révélés par les bains de teinture. Comme nous l’avons vu précédemment, on trouve des traces de ce procédé en Égypte pharaonique, en Chine et en Inde. À Java, le travail minutieux de réserve des motifs à la cire prenait plusieurs mois car les dessins étaient réalisés à la main à l’aide d’un tube de bambou qui se termine par un bec en cuivre pour l’appliquer. La cire était ainsi déposée sous forme de petits points.

Dès la fin du XIXe siècle, les colons inventent des systèmes et des mécanismes pour réduire les temps de production. Les dessins sont alors gravés sur des planches. Cette technique est dite « javanaise » : les dessins sont tracés à l’aide de fil de cuivre sur ces blocs de bois.

Faisant l’adaptation de batik – cire de pressing pour faire le modèle là-dessus dans le tissu solo (Java, Indonésie), de Petr Zamecnik, source : Dreamstime

On utilise aussi des cylindres, qui sont ensuite enduits de cire ou de résine. Les dessins sont apposés sur le tissu en faisant tourner ces cylindres. La cadence de production s’accélère alors. Les autres couleurs sont ajoutées au tampon. Des machines spéciales ont également été conçues pour maîtriser l’intensité et la densité des craquelures qui sont un moyen de s’assurer qu’il s’agit bien d’un morceau de wax.

Si vous comparez deux pièces avec le même motif, l’effet veiné sera effectivement différent. De plus, comme le tampon n’est pas apposé de manière identique, cela créée des imperfections. Il y a un décalage entre motifs et mises en couleur. Parfois du vert naît d’une superposition entre le bleu et le jaune. Dans le cas contraire, le tissu est réalisé entièrement de manière mécanique. Des faux sont d’ailleurs élaborés et vendus comme s’ils étaient des wax alors qu’il ne s’agit que de copies. Les créations originales imprimées sur une seule face sont appelées fancy. Elles sont habituellement produites par des industries textiles africaines et elles sont moins chères car il n’y a qu’une seule impression.

C’est, en effet, la superposition des manipulations qui fait augmenter le prix. Vous l’avez compris, le nombre des manipulations dépend du nombre de couleurs à apposer qui nécessitent parfois de faire des applications supplémentaires manuelles ou mécaniques avec des blocks ou d’autre méthodes d’impression du dessin. Chez Vlisco, certains tissus subissent un nombre impressionnant de manipulations ce qui augmente le prix et rend les dessins difficiles à copier.

C’est évidemment en contradiction avec l’idée d’une industrie : la réduction du coût de production par la mécanisation a rendu les tissus plus abordables mais ils constituent également un bien de luxe car les fabricants créent des motifs uniques, nouveaux et exceptionnels, utilisent du coton de qualité et multiplient les traitements.

Les colons ont fait une exploitation esthétique de certains inconvénients comme les craquelures et les bulles. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquels les Indonésiens ont rejeté les productions européennes alors que c’est justement ce qui a séduit les Africains. C’est la célèbre « parfaite imperfection », celle qui fait que chaque pan de tissu est unique, a sa propre individualité. Les imperfections demeurent, le tissu est semblable à celui d’un artisan qui réalise des étoffes à la main. Cette technique offre en tout cas des possibilités infinies et des effets uniques et inimitables.

Comment le wax s’est adapté à l’Afrique ?

Le wax est arrivé en Afrique au cours du XIXe siècle. Au fil des années, il a été adapté pour plaire aux Africains et pour qu’ils se l’approprient tant au niveau des motifs mais aussi au niveau des dimensions.

Le wax, c’est d’abord un motif, un dessin et un bon dessin franchit les frontières et traverse le temps en connaissant de nombreuses déclinaisons. Les archives sont les sources d’inspiration par excellence. Les motifs à succès sont combinés, modernisés, adaptés en un jeu subtil de correspondance et de style.

Pendant un siècle, ce sont les motifs javanais qui vont régner en maître. Puis d’autres références vont enrichir le répertoire des fabricants dans le courant du XXe siècle : objets traditionnels, biens de consommation, représentations florales et animales, figures abstraites.

Le procédé de fabrication impose aux dessinateurs des contraintes notamment sur le tracé et le positionnement du dessin noir sur le fond blanc. La cire est friable donc les contours des motifs sont limités par une épaisse ligne blanche. Pour éviter de laisser de grande zones blanches, le fond est garni de petits motifs (ondulations, crochets, etc.).

Voici une vidéo réalisée par Vlisco qui vous montre le making of d’un dessin :

Les fabricants  proposent des wax à une ou deux couleurs pour satisfaire la clientèle et axent leur production sur des combinaisons anciennes très appréciées comme le jaune et le rouge. Ils proposent aussi des duos inédits appelés off colour. En choisissant de porter tel ou tel wax, on choisit soit de partager les codes vestimentaires de ses semblables ou d’exprimer son envie de se distinguer. Les goûts sont évidemment différents selon les pays et les régions. Par exemple, au Togo, les craquelures marquées sont appréciées car elles sont gages d’efficacité. À Abidjan, on supprime les craquelures pour un style plus « propre ».

Outre la technique et les motifs, les colons ont emprunté aux Javanais les dimensions du batik pour finalement l’adapter aux habitudes vestimentaires des Africains. Les Européens reprirent les dimensions et la disposition du décor du sarong, vêtement traditionnel indonésien. Il est composé de panneaux de batik portés autour des hanches et descend jusqu’aux genoux. Les premiers wax furent donc conçus au format des sarongs dont le lé mesure 1 yard, soit 36 pouces (91 cm).

Dans le Golfe de Guinée, les femmes portaient des pagnes, pièces de coton tissés par des artisans locaux. La longueur des pagnes était codifiée. Les femmes mariées étaient couvertes jusqu’aux chevilles et les pagnes plus courts étaient réservés aux jeunes filles. Le pagne en wax a donc dû être rallongé pour répondre aux besoins de l’Afrique de l’Ouest. Dans un premier temps, on a cousu une bande de tissu pour le rallonger. Une fois informés, les fabricants ont travaillé sur des tissus de 48 pouces (soit 121 cm).

Les compositions actuelles sont rectangulaires et font 36 pouces de largeur (soit 91 cm) et de 48 pouces de longueur (soit 121 cm). Vlisco continuent toutefois de produire des wax de 36 pouces, très appréciés au Niger.

Les Européens ont dû enfin adapter le sens des dessins. Sur un tissu wax, les dessins sont alignés dans le sens de la trame, c’est-à-dire dans la largeur. Les dessins se trouvent donc présentés verticalement quand le tissu est porté en pagne. Cet agencement est déstabilisant pour un Européen car il va à l’encontre de la tradition de l’industrie textile européenne où les motifs sont dans le sens de la chaîne, c’est-à-dire dans la longueur. En couture, le vêtement est taillé dans le droit-fil, dans le sens de la chaîne.

Les motifs de ce tissu (rayures) sont dans le sens de la chaîne.

Les fabricants ont donc dû changer des normes européennes pour s’adapter et produire le wax.

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Bien que sa production soit mécanisée voire industrialisée pour certaines étapes, le wax garde une part d’artisanat sur un continent où l’opposition entre industrie et artisanat n’existe d’ailleurs pas. Pour qu’il devienne le wax, les fabricants européens ont dû adapter le batik, ses dimensions et ses motifs, qui seront d’ailleurs l’objet du troisième billet de cette Saga.

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Bibliographie et webographie

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