[Couture] Épisode 1 de La Saga du Wax : les origines

Ce billet inaugure une série spéciale sur le wax, ce coton aux couleurs chatoyantes surtout porté en Afrique. Les cinq billets qui seront publiés au mois d’août seront consacrés à ce tissu qui connaît un destin exceptionnel depuis sa création. Ce printemps dernier, deux ouvrages sur le wax sont d’ailleurs parus :

Un bref curriculum vitæ des deux auteurs se trouve sur la quatrième de couverture de chacun de leur ouvrage.

Anne Grosfilley est docteur en anthropologie, spécialisée dans le textile et la mode africaine. Consultante pour des entreprises et des créateurs, commissaire d’exposition, elle participe régulièrement à des projets d’envergure internationale […] [E]lle transmet son approche artistique et pédagogique en milieu scolaire et universitaire.

Anne-Marie Bouttiaux, anthropologue et historienne de l’art, fut chef de la section d’Ethnographie au Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren (Belgique) jusqu’en 2014. Elle a écrit, dirigé ou participé à de nombreux ouvrages sur l’Afrique […].

Quelques articles sur le web viennent s’ajoutent à ces deux ouvrages (voir webographie à la fin de ce billet).

Ce premier billet est donc consacré aux origines de ce tissu.

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Le wax est un tissu que l’on appelle communément « tissu africain ». Toutefois, le wax est surtout un paradoxe car il n’a pas été créé sur ce continent mais pour ce continent. Véritable symbole de la mondialisation, son succès est intrinsèquement lié à la colonisation pour finalement devenir l’emblème de l’identité africaine avec ses symboles et ses codes.

Naissance sur l’Île de Java

Le wax est héritier, en effet, du batik technique d’impression développée en Indonésie, qui atteint son apogée sur l’Île de Java. « Batik » est d’ailleurs un mot javanais qui a la même origine que le mot « titik » signifiant point. Cette technique qui consiste à teindre par application des dessins réalisés en utilisant des réserves de cire d’abeille ou de pâte de riz est présente sur l’île dès le XIe ou XIIe siècle mais elle ne fut pas inventée à Java. On trouve, en effet, des traces de ce procédé en Égypte pharaonique, en Chine et en Inde. Elle fut ensuite développée en Indonésie et plus particulièrement à Java, où l’on continue à la pratiquer. Nelson Mandela, opposant à la ségrégation et président d’Afrique du Sud de 1994 à 1999, est lui-même resté fidèle aux chemises en batik indonésien. En 2009, elle fut d’ailleurs inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco.

Femmes fabriquant du batik sur Java, anonyme, 1880 – 1910, source : Rijks Museum

Depuis le XVIIe siècle, des colons britanniques et néerlandais sont présents en Indonésie et dans l’Asie du Sud-Est. Cette région du monde sera le théâtre de la rivalité entre deux nations européennes, la Hollande et l’Angleterre, qui s’en partageront successivement la domination.

Les colons anglais et hollandais récupèrent cette technique pour concurrencer les productions locales avec des batiks moins coûteux. Ils vont la mécaniser et ainsi faire des gains de production et des gains sur le temps de production alors que normalement, il faut plusieurs mois pour fabriquer un vêtement pour l’élite javanaise. Le batik est, en effet, destiné à la haute société javanaise et certains dessins sont même exclusivement destinés à la famille royale.

Portrait en studio d’une jeune femme javanaise assisse, Kassian Céphas, c. 1890 – c. 1910, Source : Rijks Museum

Mais les Anglais et les Hollandais échouent à imposer leur production en Indonésie malgré la reproduction stricte des motifs. Les Indonésiens boudent leurs produits d’une part, parce que la qualité est moindre et ne leur convient pas, d’autre part, parce qu’une lourde taxe est imposée aux importations pour protéger l’économie locale. Les colons se tournent alors vers leurs autres colonies pour vendre leurs produits manufacturés en Europe. C’est ainsi que le batik envahit le continent africain sous le nom de « wax » qui signifie « cire » en anglais.

La rencontre entre le batik indonésien et l’Afrique se fait au cours du XIXe siècle grâce à des hommes venus de la Côte-de-l’Or ou Gold Coast (actuel Ghana). La plupart d’entre eux furent amenés comme esclaves par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales pour travailler dans les exploitations ou furent soldats. Les esclaves eurent ensuite la possibilité de s’affranchir et de rester sur place ou de rentrer dans leur pays. Il est donc probable que ces anciens esclaves et soldats emportèrent dans leurs bagages des tissus indonésiens, qui conquièrent alors la côte ouest de l’Afrique. Cela fut, comme l’écrit Anne-Marie Bouttiaux, « les prémices de la globalisation du commerce ».

 

Les raisons du succès

Ce n’est pas la première fois qu’on fait en Afrique le commerce d’un tissu produit sur un autre continent. L’Afrique est depuis le XVIIe siècle un marché pour les exportations européennes, celui que l’on appelle « intorica », signifiant « India to Africa », marché de l’Inde à l’Afrique. Il s’agit du marché de cotonnades fabriquées en Inde. Elles arrivent aux ports de Liverpool et de Nantes où se fournissent les marchands qui vont ensuite en Europe, en Afrique et dans les Caraïbes. Il naît alors un véritable engouement pour les tissus à carreaux de Madras et les cotons imprimés appelés chintz (indiennes). Des usines vont même s’implanter en Alsace et à Manchester.

Mais l’arrivée du wax en Afrique marque vraiment le début de la mondialisation car ce tissu, majoritairement fabriqué en Europe (en Angleterre et en Hollande), deviendra le reflet d’une identité. Cette mondialisation repose sur l’intensification des échanges entre les continents, sur la mécanisation des procédés d’impression sur textiles et sur les progrès techniques de l’ère industrielle. Son succès est dû au génie compétitif d’industriels et de marchands et à l’impérialisme colonial.

A la fin du XVIIIe siècle, en effet, les innovations technologiques font entrer la filière textile dans l’ère industrielle.

Voici les quelques inventions marquantes :

  • 1733 : mise au point de la navette volante par John Kay. Il est maintenant possible de faire de grande largeur et un seul homme est nécessaire pour actionner un métier à tisser.
  • 1769 : invention du water frame par Richard Arwkright, système hydraulique pour le filage du coton (plante tropicale). Le temps humide du nord-ouest de l’Angleterre est idéal car cette fibre a besoin d’humidité
  • 1783 : dépôt du brevet sur une machine à imprimer au rouleau par l’Écossais Thomas Bell
Réplique de la machine appelée water frame inventée par Richard Arkwright, Morio, Source : Wikimedia Commons

En parallèle, la marine commerciale progresse et le bateau à vapeur est inventé. Il permet des échanges plus rapides et des liaisons plus fréquentes.

Le développement de l’industrie et du commerce se fait aussi en Guinée qui devient un bassin de consommation des produits d’Europe. Certaines régions d’Afrique, en effet, s’enrichissent, notamment la Gold Coast et la Côte d’Ivoire : elles sont les centres d’approvisionnement en ivoire, en or et en huiles de palme et d’arachide qui servent à la fabrication des savons, bougies et lubrifiants pour machines. Ces riches régions sont donc demandeuses de produits manufacturés importés.

Dans ce contexte, le textile et notamment le wax deviennent un enjeu économique. L’Angleterre et la Hollande se livrent alors une véritable concurrence et des multinationales émergent. Manchester, appelée Cottonpolis, devient la cité du wax anglais. En Hollande, la marque Vlisco naît à Helmond en 1846. Vlisco est maintenant le leader du wax hollandais et une marque de luxe et de référence en la matière. Elle produit 76 millions de yards de wax aux Pays-Bas qui sont écoulés à 90 % en Afrique, ce qui représente 300 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Logo de la marque hollandaise Vlisco

Le rôle des missionnaires fut également primordial dans le succès du wax. Ils vont notamment créer les conditions matérielles pour faire du wax un tissu indispensable et en même temps aider les marchands du fait de leur connaissance des populations. Par exemple, l’Œuvre de la Mission de Bâle, une société protestante fondée en Suisse, aura pour missions d’évangéliser les populations mais aussi de fournir aux autochtones leur indépendance économique par l’artisanat et l’agriculture. Ils vont, en effet, former les jeunes filles à la couture, pourtant traditionnellement réservé aux hommes, et introduire et la machine à coudre et les tissus européens qui sont moins épais que les tissus locaux. L’expertise des missionnaires est précieuse car ils renseignent les négociants européens sur les goûts des Africains. On peut résumer leurs actions par trois mots commençants par un C : chrétienté, civilisation et commerce.

La conquête de l’Ouest et du Centre

Comme nous l’avons écrit précédemment, les productions européennes s’écoulent d’abord au Ghana au début du XXe siècle. De là, l’engouement gagne dans de nombreux pays de l’Afrique occidentale : Togo, Bénin, Nigeria, Niger, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali, Sénégal. Il gagne enfin l’Afrique centrale et essentiellement le Togo. A cette époque, seule la bourgeoisie locale peut s’acheter ces tissus, comme cela était le cas en Indonésie.

Au cours du XXe siècle, la création d’entreprises en Afrique même et l’implantation par la Chine d’usines au Nigeria et au Ghana ont permis de démocratiser ce tissu et ainsi de toucher les classes moyennes. Le wax chinois et indien est, en effet, vendu huit à dix fois moins cher. Cela a contribué à ce qu’il gagne aussi les zones rurales où le wax est acheté sous la forme d’un coupon de 2 yards et est ainsi porté en pagne, surtout par la gent féminine, sans autre investissement financier. Mais les coupons sont également coupés et cousus, que ce soit pour les femmes ou pour les hommes. La clientèle féminine émet toutefois le besoin de se procurer du wax hollandais essentiellement de la marque Vlisco ; le fait qu’il soit produit à l’étranger en fait un tissu de grande valeur.

Wax block print fabric made in Ghana,
WorldRemit Comms, 2016, Source : Flickr

Les irrégularités des dessins dues au procédé de fabrication (la teinture à la cire) sont perçues en Europe comme des défauts. L’effet veiné dû à l’infiltration de la teinture dans la craquelure de la cire déplaît. Mais cet effet veiné et cet ajustement imparfait des couleurs séduisent les Africains. Ils sont même un gage d’authenticité et de qualité. Ils aiment la qualité de la pénétration des couleurs, particularité importante dans un pays chaud. Le fait que le tissu soit teint à la cire le rend hydrophobe, ce qui plaît également.

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Depuis sa naissance en Indonésie, le wax connaît un destin extraordinaire et a réussi à conquérir une partie d’un continent qui en a fait un symbole identitaire. Aujourd’hui, le wax conquiert un autre continent : l’Europe. Dans le second épisode de cette saga nous verrons comment il est fabriqué.

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Bibliographie et webographie

3 commentaires sur « [Couture] Épisode 1 de La Saga du Wax : les origines »

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